mercredi 3 juin 2009

Piraterie en Somalie

La piraterie en Somalie est née pour protéger le pays du pillage occidental


Depuis l’effondrement du gouvernement central en Somalie, ce pays dépourvu de marine et de gardes-côtes a vu ses ressources pillées par de gros chalutiers qui pêchent illégalement dans ces eaux très poissonneuses. Pire encore, des entreprises et des hôpitaux européens se sont débarrassés là de leurs déchets toxiques via des filières mafieuses, provoquant l’apparition de maladies graves dans la population. La piraterie le long des côtes somaliennes, aujourd’hui endémique, est née comme un mécanisme d’auto défense des pêcheurs qui voulaient avant tout protéger leurs eaux ou tentaient de prélever une « taxe » sur les pilleurs.


En 1991, le gouvernement de la Somalie s’est effondré. Les neuf millions d’habitants du pays vivent depuis lors au bord de la famine. Mais de nombreuses organisations occidentales de la pire espèce ont mis à profit cette situation pour piller les ressources alimentaires du pays et et se débarrasser de déchets nucléaires dans les eaux somaliennes.
Vous avez bien lu : des déchets nucléaires. Dès que le gouvernement a disparu, de mystérieux navires européens ont commencé à apparaître au large des côtes de Somalie, immergeant des barils dans l’océan. La population côtière a commencé à tomber malade. Dans un premier temps, les habitants ont souffert d’éruptions cutanées étranges, de nausées et des bébés malformés sont nés. Puis, après le tsunami de 2005, des centaines de ces barils laissant fuir leur contenu se sont échoués sur le rivage. Les gens ont commencé à présenter des symptômes d’irradiation, et plus de 300 personnes sont mortes. Ahmedou Ould-Abdallah, l’envoyé des Nations unies en Somalie, m’a déclaré : « Quelqu’un rejette des matériaux nucléaires ici. Il y a aussi du plomb, des métaux lourds comme le cadmium et le mercure. » La provenance d’une grande partie de ces déchets peut être retracée jusqu’à des hôpitaux et des usines européennes, qui semblent les confier à la mafia italienne pour s’en débarrasser à moindre coût. Lorsque j’ai demandé à M. Ould-Abdallah ce que les gouvernements européens avaient entrepris à ce sujet, il m’a répondu en soupirant : « rien. Il n’y a pas eu de nettoyage, d’aucune indemnisation, et pas [d’action] de prévention. »


Dans le même temps, d’autres navires européens pillaient les eaux somaliennes de leur ressource la plus importante : la pêche. Nous avons détruit nos stocks de poissons par la sur-exploitation - et aujourd’hui nous nous en prenons aux leurs. Les grands chalutiers qui pêchent illégalement au large de la Somalie capturent chaque année pour plus de 300 millions de dollars de thons, crevettes, homards et autres espèces dans ces eaux dépourvues de protection. Les pêcheurs locaux ont soudainement perdu leurs moyens de subsistance, et ils sont affamés. Mohammed Hussein, un pêcheur dans la ville de Marka, à 100 km au sud de Mogadiscio, a déclaré à l’agence Reuters : « Si rien n’est fait, bientôt il n’y aura plus beaucoup de poissons dans nos eaux côtières. »


C’est le contexte dans lequel ces hommes que nous appelons « pirates » sont apparus. Tout le monde convient que ce ont de simples pêcheurs qui les premiers ont utilisé leurs vedettes rapides pour tenter de dissuader les chalutiers et les bateaux poubelles, ou tout au moins pour leur imposer une « taxe ». Ces pêcheurs se désignent eux-même comme les Volontaires des Garde-côtes de la Somalie - et il n’est pas difficile de comprendre pourquoi. Dans une entretien surréaliste réalisé par téléphone, l’un des leaders des pirates, Sugule Ali, a déclaré que leur motif était « d’arrêter la pêche illégale et l’immersion des déchets , dans nos eaux ... Nous ne nous considérons pas comme des bandits des mers. Nous considérons que les bandits des mers [sont] ceux qui pêchent illégalement et utilisent nos mers comme une décharge et rejettent leurs déchets dans nos mers et viennent [naviguer] en armes sur nos mers. »
Non, cela ne justifie pas la prise d’otages. Oui, certains d’entre eux sont sans aucun doute simplement des gangsters - en particulier ceux qui se sont emparé des livraisons du Programme Alimentaire Mondial. Mais les « pirates » ont l’appui de la population locale pour une bonne raison. Le site de presse indépendant somalien WardherNews a mené la meilleure enquête dont nous disposions sur ce que pensent les Somaliens ordinaires. Ses résultats indiquent que 70% « soutiennent fermement le piratage en tant que forme de défense nationale des eaux territoriales du pays ». En Amérique, durant la guerre d’indépendance, George Washington et les pères fondateurs payaient des pirates pour protéger les eaux territoriales américaines, parce qu’ils ne disposaient pas de leur propre marine ou de garde-côtes. La plupart des Américains soutenaient cette pratique. Est-ce si différent ?


Nous attendions-nous à ce que les somaliens affamés restent passivement sur leurs plages en pataugeant dans nos déchets nucléaires, et nous regardent capturer leur poisson afin que nous puissions le déguster dans les restaurants de Londres et de Paris et de Rome ? Nous n’avons pas agi contre ces crimes - mais lorsque les pêcheurs ont riposté en désorganisant le couloir de navigation par lequel transite 20% de l’approvisionnement mondial en pétrole, on avons commence à crier haro. Si nous voulons vraiment lutter contre la piraterie, nous devrions mettre fin à ses causes profondes - nos crimes - avant d’envoyer nos canonnières éradiquer les criminels Somaliens.


C’est un autre pirate, vivant au quatrième siècle avant JC, qui a le mieux résumé l’histoire de cette guerre contre la piraterie. Il avait été capturé et emmené devant Alexandre le Grand, qui voulait savoir « ce qu’il attendait en voulant conserver sa maîtrise des mers ». Le pirate a souri, et répondu : « Ce que vous attendez en vous emparant de la terre entière ; mais comme je le fais avec un petit bateau, je suis un voleur, alors que vous qui le faites avec une grande flotte, vous êtes appelé empereur ». A nouveau, notre grande armada impériale cingle aujourd’hui sur l’océan - mais qui est le voleur ?




Portrait-robot du pirate somalien


Les pirates qui infestent le golf d'Aden viennent de clans variés, mais répondent tous à un profil type : ils utilisent le même équipement, respectent la même technique d'attaque et perçoivent leur salaire selon les mêmes règles.


PROFIL :

Le commanditaire: Tête pensante de la piraterie, il ne va pas en mer mais gère habilement la logistique. Il importe les armes, corrompt les forces gouvernementales s’il le faut, blanchit l’argent et s’assure de la fidélité absolue de ses hommes. C'est également lui qui trouve des informateurs dans les ports de la région et qui recrute les gardes chargés de surveiller les navires détournés, mouillant au large d'Eyl, de Hobyo et de Harardhere.
Il revendique le statut de garde-côte - il affirme protéger les côtes des chalutiers occidentaux qui raclent l'océan sans permis et polluent le rivage de déchets toxiques -, mais calcule comme un homme d’affaires aguerri. Désormais fortuné, il roule en 4x4 rutilant dans les rues de Mogadiscio, la capitale somalienne, et vit dans de somptueuses villas à l'écart des camps où vivent les "simples" pirates.


Le simple pirate: Hybride, mi-pêcheur mi-mercenaire, il s’enfonce à des milles de la côte sur un simple skiff de bois, sans toujours savoir nager. Parfois en mauvaise santé - il absorbe quotidiennement du qat, la drogue locale anorexigène - il a rarement, voire jamais, reçu de soins médicaux. Il peut être forcé à pirater : les commanditaires menacent souvent les familles de ces hommes.Généralement, son sentiment d’appartenance à un clan est bien plus fort que l’attachement à sa propre vie. Son torse est d’ailleurs souvent scarifié pendant son plus jeune âge. Ces brûlures boursouflées, parfois faites à la cigarette et dessinées de manière plus ou moins symétrique, marquent son appartenance au clan.

MATÉRIEL:

Armement : De la kalachnikov - ou copie de "kalach" - au lance-roquettes, l’équipement du pirate somalien est pointu. Il se le procure n’importe où dans son pays, en guerre civile depuis des années. L'absence totale de taxes à Mogadiscio, qui a fait de la capitale somalienne la plaque-tournante du commerce légal et illégal en Afrique de l’Est, facilite également l'approvisionnement.Ces armes, très rapidement rouillées, faute d'entretien sérieux, sont instables.
À terre, ils utilisent certainement des récepteurs AIS, des balises de réception pour repérer les bateaux de commerce.


Embarcation : Le pirate embarque dans un skiff, petit rafiot de bois utilisé par les pêcheurs de la région. Un moyen de ne pas se faire repérer. Petites et légères, ces embarcations sont quasi-indétectables au radar. Pour passer encore plus inaperçue, la coque est généralement repeinte d’un bleu proche de la couleur de l’océan.
Pour se déplacer, les flibustiers reproduisent la technique ancestrale du "boutre", la méthode de pêche yéménite. Un bateau principal de quelques mètres accompagne des skiffs, plus petits, pour les ravitailler en essence et en armes, de telle sorte qu'ils peuvent parcourir de plus grandes distances et attaquer très loin des côtes.
À bord de leur embarcation, les pirates ont toujours une échelle, outil indispensable pour accoster le navire attaqué mais également preuve irréfutable de leur culpabilité.

SALAIRE :

Le montant des gains : Les pirates raflent tout à bord des bâtiments attaqués. Téléphones portables, montres, vêtements, argent. Mais ces larcins ne représentent rien à côté des sommes obtenues grâce aux rançons versées sur des comptes, souvent ouverts à Dubaï. En 2008, les pirates somaliens auraient engrangé plus de 100 millions de dollars. Fin janvier 2009, ils auraient également récupéré 3 millions de dollars en échange du Sirius Star, le super tanker saoudien détourné le 15 novembre 2008 - les flibustiers en avaient demandé 25 millions.


La répartition des gains : C’est le commanditaire qui touche la plus grosse part. Ensuite, viennent celui qui a posé en premier le pied sur le navire attaqué puis celui qui a négocié la rançon : l’interprète. Le reste est réparti en fonction du rôle de chacun. Le lance-roquettes gagne, par exemple, plus que les autres parce que son arme est la plus lourde mais aussi la plus chère.
Une partie des gains est également réinvestie dans l’équipement ; une autre est reversée aux familles des pirates morts en mer. Elles perçoivent environ 15 000 dollars.
Les autorités locales recevraient également des enveloppes pour leur "bienveillance" .

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